Alcool et responsabilité !
Aujourd'hui, je traite d'un sujet de société toujours d'actualité mais qui relève de mon humeur. Je ne sais pas dans quelle catégorie ranger ce billet et au fond, ce n'est pas très important. J'annonce une réflexion assez sombre, un sujet plutôt triste et des conclusions incertaines. Non pas que je sois d'humeur morose mais j'ai décidé de prendre exemple sur mon ami Dumbledore. Quand trop de pensées et de souvenirs se bousculent dans sa tête, il extrait les pensées inutiles et les dépose dans la bassine [pensine] grâce à sa baguette (source). Chers lecteurs, je vais parler alcool et responsabilité parce que je pense que l'alcool est un fléau au même titre que la drogue. Aujourd'hui, je bois avec mon ami modération parce que je vis avec un souvenir particulièrement désagréable que les principaux concernés ont probablement déjà oublié. En ce qui me concerne, je n'oublie jamais rien, je vis avec.
Je me pose trois questions existentielles : est-il vraiment possible d'empêcher quelqu'un de boire plus que de raison ? Est-on responsable du comportement d'autrui ? Dans quelle mesure peut-on être rendus coupables de non assistance à personne en danger ? Il y a quatre ans, voici ce que j'aurais répondu : évidemment, qu'il est possible d'empêcher quelqu'un de boire plus que de raison, c'est même absolument nécessaire. Oui, nous sommes responsables du comportement d'autrui dès l'instant où nous savons qu'il se met en danger. Et s'il lui arrive quelque chose, il en va bien entendu de notre responsabilité. C'est d'une évidence tragique. Ce billet se scinde en deux histoires qui me font penser qu'il est parfois possible de nier l'évidence. La première date d'il y a quatre ans, la seconde est arrivée l'année dernière.
Voici la première.
En arrivant en France, j'étais sobre. Après deux ans de prépa, je l'étais toujours. Il y avait des concours à réussir et peu d'occasions de sorties donc peu de risques de tomber dans la marmite étant novice. Puis, j'ai réussi les concours et j'ai fait mon entrée en Ecole de Commerce où mon esprit de mimétisme aidant et un esprit de libération m'accompagnant, je me suis laissée entraîner. Chers lecteurs, vous me lisez régulièrement et vous savez à quel point je déteste les clichés. Mais sachez que la plupart des clichés relatifs aux Ecoles de Commerce sont malheureusement vrais notamment ceux qui rentrent dans la catégorie beuverie et compagnie. Je n'entrerai pas dans les détails car ce n'est pas le sujet qui me préoccupe. Je dirais simplement que ce n'est qu'après être sortie de cet environnement bacchusien, que je me suis rendue compte du crétinisme ambiant qui y régnait [le principe de l'Open Bar relève bel et bien du crétinisme, franchement]. Il y a quatre ans, je participais au fameux week-end d'intégration. Nous arrivons à destination. Nous descendons du bus. Un drame se produit. Un jeune homme qu'on va appeler ... qu'on ne va pas appeler en fait, descend du bus d'une association (qu'on ne va pas appeler non plus histoire de préserver un minimum d'anonymat) et s'écroule par terre. Le verdict est sans appel : coma éthylique. Chers lecteurs, je vous rassure tout de suite, le jeune homme a survécu. Les conséquences ? Le directeur de notre établissement a débarqué sur les lieux et nous a tous rendus coupable d'inconscience collective, tous, même ceux qui n'appartenaient pas au même bus que ce charmant jeune homme. Nous étions moralement coupables par procuration. Par la suite, les membres de l'association concernée ont été punis et le jeune homme en a également eu pour ses frais. A ce moment là, Caramel Mou pensait que ce n'était que justice. Après tout, c'était la faute des passagers du bus qui n'ont pas su l'empêcher de boire plus que de raison. Et puis c'était la faute du voisin qui aurait du se rendre compte de son état. Les occupants de ce bus étaient décidément tous coupables de négligence. Un point c'est tout.
Sans transition, la deuxième histoire.
Il y a un an, nous nous sommes retrouvés avec un groupe d'amis au Carnaval de Barranquilla (Colombie). Après le dîner, nous nous sommes dirigés vers le lieu de la fête qui avait lieue en plein air. Ce fut le début d'une soirée cauchemardesque. Avant d'avoir eu le temps de réaliser qu'une de mes amies proches perdait le contrôle sur sa personne, il était déjà trop tard. Cette soirée ne fut qu'un enchaînement de situations stressantes. Voyez-vous, il y a eu ce moment gênant où :
- Elle s'est mise à hurler que son mec n'était qu'un connard et qu'elle voulait boire pour oublier. J'ai tenté de lui ôter sa bouteille de rhum des mains mais elle a manqué de me la balancer sur le crâne en me criant qu'elle avait 24 ans et qu'elle était libre de boire.Je me suis embrouillée avec E. qui continuait à lui fournir de l'alcool. Elle s'est effondrée et est devenue complètement apathique. Elle a vomi sur tout le monde. Je me suis embrouillée avec des amis qui préféraient faire l'autruche, la mettre très vite dans un taxi et la ramener à la maison : j'ai décrété qu'il fallait attendre que l'ambulance arrive [je suis fille de médecin]. Je suis montée toute seule dans l'ambulance direction l'hôpital.
- Je me suis retrouvée toute seule à l'hôpital pendant deux bonnes heures. J'ai du expliquer aux médecins qui me regardaient d'un air dubitatif [ces étudiants en échange, tous les mêmes] que mon amie n'avait consommé aucune substance illicite. Je suis restée toute seule, debout dans la salle de réanimation à contempler mon amie allongée, toujours apathique, une perfusion dans le bras. Mon amie ne se réveillait pas. Les médecins n'avaient pas l'air de s'inquiéter. L'angoisse. Je m'imaginais déjà entrain d'annoncer à ses parents la mort de leur fille. Mon amie s'est fait pipi dessus. Une vieille dame agonisait à côté. Son petit-fils était à genou entrain de prier : ma grand-mère est mourrante. Qu'est-il arrivé à votre amie ? Oh, elle a juste abusé du rhum.
- J'ai reçu un coup de téléphone : oui, Caramel Mou, ça va ? Non, ça ne va. Elle ne reprend pas connaissance. Bah, elle est juste bourrée. Non, ça me paraît plus grave tout de même. Oui bah, tu nous tiens au courant ? Ici, c'est super. Il y a beaucoup d'ambiance. Tout le monde continue à faire la fête. Ah, c'est ... super ! Je me suis dit que ces amis là étaient bien égoïstes de continuer à faire la fête. La compassion n'existe que dans les séries américaines. E. [le même] a daigné arriver deux heures plus tard [il a le mérite de s'être déplacé] : rolalala, les médecins colombiens exagèrent. Elle est juste bourrée, c'est pas grave dixit le mec qui avait lui-même beaucoup bu.
- Mon amie est transférée à un autre endroit. Elle se réveille enfin à l'aube et se met à hurler dans l'hôpital entre les femmes enceintes et les vieillards agonisants : pourquoi je suis ici ? Parce que j'ai bu ? C'est ridicule. Laissez-moi sortir. Elle tente d'arracher sa perfusion pour aller au toilettes. Je tente d'avertir un médecin mais on me dit que ce dernier est parti et ne reviendra que dans deux heures. Le médecin revient et déclare qu'il faut garder mon amie en observation. E. dans toute sa splendeur : non, c'est ridicule. On est fatigué. On se casse d'ici. Elle est juste bourrée. Il arrive à négocier une sortie prématurée. A ce stade de la compétition, Caramel Mou s'en fiche un peu. Mon amie fait un ultime scandale : vous ne prenez pas mon assurance, bande de connards ! Ce n'est pas grave. Caramel Mou va payer 200.000 pesos, au point où elle en est.
Le coup fatal fut porté le lendemain matin quand arriva ce moment gênant inégalable où mon amie s'est réveillée en n'ayant aucun souvenir de la nuit précédente. Ce n'est pas grave, Caramel Mou n'a pas dormi de la nuit mais va quand même te rafraîchir la mémoire. Chers lecteurs, mes amis ont tous considéré que tout était de la faute de mon amie. A titre personnel, j'étais mortifiée. Je me suis sentie coupable [j'étais bien la seule]. Cette histoire m'a rappelé la première. C'était la même situation vu de l'intérieur. J'étais coupable de n'avoir rien vu. J'étais coupable de n'avoir pas pu l'empêcher de boire. Un point c'est tout. D'un autre côté, je me suis rendue compte qu'il était difficile d'empêcher quelqu'un de faire n'importe quoi. Cela est plus facile à dire ou à voir dans une campagne de sensibilisation qu'à faire. Mais cela ne nous excuse en rien. Le pire aurait pu se produire. Comment vivre avec ? Récemment, un ami a fait un accident de voiture qui a failli lui coûter la vie : il était ivre et seul dans la voiture. Pourquoi l'a t-on laissé conduire dans ces conditions ? Le monde est égoïste et ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Au delà des considérations juridiques qui sont bien peu de choses (une amende ou quelques années de prison ne ramèneront personne à la vie), nous avons une responsabilité morale vis à vis d'autrui. Je suis responsable, un point c'est tout.
Chers lecteurs, auriez-vous plaidé coupable ou non coupable ?